Adresses émaillées

Petite histoire des plaques d’adresses montréalaises

À compter de 1909, les propriétaires montréalais se voient ainsi obligés de se procurer auprès de l’administration municipale une plaque d’adresse. Montréal avait fait fabriquer une grande quantités de plaques pour s’assurer de leur uniformité graphique.  Des employés municipaux se chargeaient de l’installation. Au cours du temps, les plaques se sont présentées en quelques couleurs: sur fond blanc, noir ou bleu.  Aujourd’hui les nouveaux propriétaires recherchent ces plaques mais ils doivent les commander à l’Émaillerie normande de Caen.  Ils peuvent les recevoir dans un délai d’environ 3 semaines.

Je suis propriétaire d’une maison à Montréal et j’ai conservé mon adresse émaillée.  L’ancien propriétaire l’avait rangée dans une armoire au sous-sol. Nous sommes très fiers de l’avoir réinstallée sur le mur de notre maison.

Plaques d’acier émaillées de Montréal. (photo 1)

 

Voici l’adresse qui sera installée au chalet (photo 2).  Je voulais moderniser mon adresse qui avait perdu de son lustre. J’ai donc décidé d’émailler 4 plaques de cuivre. J’ai donc utilisé encore une fois l’ordinateur pour aller choisir les modèles de mes chiffres.  J’ai agrandi suffisamment chacun des chiffres et je les ai imprimés sur papier blanc épais. Je les ai découpés pour former des pochoirs. J’ai émaillé les plaques en blanc. Puis j’ai placé un chiffre en papier sur la première plaque en prenant bien soin de mouiller le pochoir au pinceau pour le faire adhérer sur la plaque. Puis j’ai saupoudré de vert foncé transparent. Il fallait ensuite retirer le pochoir délicatement à l’aide de pinces.

Quelques mois plus tard, nous avons rencontré une grande artiste qui sculpte des enseignes en bois. Elle est très connue pour ses magnifiques enseignes.  Son atelier se trouve à Sainte-Mélanie.  Elle se nomme Lucie Landry. Elle nous a accueille toujours chaleureusement et ses prix sont très raisonnables. Lorsque nous avons vu qu’elle avait réussi à intégrer les quatre plaques émaillées tout en peignant le lac et son île, nous avons été emballés.  Merci Lucie!

                    Adresse du chalet (photo 2)

 

 

Étapes de la réalisation d’un tableau en émail sur cuivre

Je vais maintenant, à l’aide de photos, vous montrer les différentes étapes de la réalisation d’un tableau en émail sur cuivre.  Vous constaterez que c’est un travail de planification et de résolution de problèmes qui demande parfois de la réflexion.

Élisabeth Beaulieu - Émail sur cuivre - Oeuvre: Tsunami / Dessin

Émail sur cuivre / Tsunami - Première étape du dessin

Tout d’abord, toute démarche artistique demande une certaine recherche accompagnée d’un coup de cœur.  J’ai consulté les œuvres de certains artistes et j’ai eu le coup de foudre pour l’arbre de vie de Gustave Klimt.  Cet arbre a été utilisé dans plusieurs œuvres de l’artiste.  Il est magnifique et féérique.  Je me suis donc inspirée de cet arbre car je pouvais voir la possibilité de le cloisonner. J’ai simplifié cet arbre car je m’en inspire, je ne cherche pas à le copier intégralement.  Il faut d’abord en faire un croquis puis un dessin.  Vu que mon dessin ne présentait que peu de branches, je me suis questionnée sur la composition.  J’ai compris qu’il fallait remplir les espaces entre les branches.  Je ne voulais pas répondre au stéréotype classique  de l’arbre en y ajoutant des feuilles.  Je ne voulais pas non plus y ajouter des oiseaux comme l’a fait Gustave.  J’ai alors pensé aux poissons et la possibilité d’un tsunami. Dans le bas, j’ai pensé y dessiner des algues avec un certain mouvement.   Voilà j’étais lancée.

Par la suite, j’ai émaillé une plaque de cuivre assez épaisse puisqu’elle est très grande (12 po x 10).  Puis on commence à former le dessin à l’aide de fil d’argent.  On plie le fil en suivant les courbes du dessin.  On assemble tout les segments de fil sur la plaque à l’aide d’une gomme arabique qui se dissout lors des cuissons.  Elle ne laisse aucune trace.  Lorsque le fil est bien installé sur la plaque émaillée, on l’amalgame en cuisant le tout très rapidement.  On peut débuter le travail de planification des couleurs.

Élisabeth Beaulieu - Émail sur cuivre - Oeuvre: Tsunami / Cloisonné

Émail sur cuivre / Tsunami - Deuxième étape, fixation du fil d'argent pour le cloisonné

Élisabeth Beaulieu - Émail sur cuivre - Oeuvre: Tsunami / Dessin

Émail sur cuivre / Tsunami - Première application de poudre

Il faut comprendre que la planification d’une œuvre d’émail sur cuivre est importante car il faut maximiser le saupoudrage des couleurs pour minimiser la somme des cuissons.  On sait que la plaque de cuivre peut tordre et se déformer si elle va trop souvent au four.  En même temps il faut penser à notre fil qui peut disparaître si la plaque est trop longtemps laissée dans le four.  Tout est question d’économie.  Souvent on effectue des cuissons immatures: aspect givré sur la surface de l’émail.Les couleurs sont appliquées en pensant aux dégradés.  Par exemple, le tronc de l’arbre peut contenir plusieurs couleurs qui se fondent l’une dans l’autre.  On note toujours les couleurs utilisées sur le dessin car, parfois il faut revenir pour intensifier les couleurs car le saupoudrage n’est pas toujours parfait.

Élisabeth Beaulieu - Émail sur cuivre - Oeuvre: Tsunami / Dessin

Émail sur cuivre / Tsunami - L’œuvre évolue

Puis vers la fin, on ajuste la lumière.  Voilà la fameuse résolution de problème!  Comment augmenter la luminosité, la chaleur et les contrastes pour rendre l’œuvre plus vivante.  Vers la fin, je me demande toujours si j’ai intégré les couleurs primaires, si j’ai joué avec les couleurs complémentaires et si j’ai répondu à mon thème: le tsunami.  C’est alors que mon professeur m’a expliqué que mon thème n’était pas suffisamment exploité.  Elle m’a suggéré d’y ajouter une vague blanche.  La vague créerait du mouvement  et ajouterait de la luminosité du même coup.  De plus, je voulais utiliser de la “frite” mais je savais qu’il faudrait attendre la dernière cuisson.  La frite est un morceau de verre qui ressemble à une petite roche transparente.  Lorsqu’on l’amalgame au four, elle fond légèrement et devient transparente.  Mon professeur m’a dit que ça pourrait se faire maintenant qu’il y a une vague.  C’est logique!  Mais avant je devais régler le problème de la luminosité dans le haut de l’arbre. Saupoudrer du blanc sur les poissons leur a donné de la rondeur et de la lumière, mais le contraste était faible.  C’est alors que je me suis dit, il faut saupoudrer le bout des branches avec du noir pour avoir un contraste avec le fond de l’œuvre.  Pour équilibrer le fond j’ai saupoudré du jaune doré et cela a tout changé.  J’étais très satisfaite de mon travail.

Élisabeth Beaulieu - Émail sur cuivre - Oeuvre: Tsunami / Final

Émail sur cuivre / Tsunami - Version finale

À la toute fin on signe l’émail sur cuivre, on ajoute de la frite et voilà le travail.  Il ne reste plus qu’à aller voir l’encadreur.

Les poudres utilisées pour l’émail sur cuivre

Les surfaces colorées d’une œuvre en émail sur cuivre sont obtenues en faisant fondre diverses poudres colorées, transparentes, opaques ou même opales. J’aimerais vous parler de la fabrication des poudres, des différentes catégories et de leurs propriétés et à quel point ce matériau est central dans la production des émaux sur cuivre.

Les poudres d’émail sur cuivre sont en fait des poudres de verre. Elles sont composées en grande partie de silice (dioxyde de silicium). Le point de fusion de la silice se situe à 1730 degrés Celsius. Lorsque la silice se vitrifie, elle forme une masse solide. Si on y ajoute des fondants (oxydes), alors la fusion de la silice se fait à des températures plus basses. Les poudres de verre colorées existent depuis des siècles. Elles contiennent des pigments. On ajoute des minéraux ou oxydes métalliques à la silice et on obtient ainsi plusieurs couleurs. Ainsi les fondants, silice et oxydes métalliques et stabilisants sont fusionnés puis, refroidis sur des plaques. Lorsque ce verre coloré est refroidi on le broie et on le pulvérise. Les grains de poudres peuvent aussi être pulvérisés à différentes grosseurs car certaines techniques d’émaillages exigent des poudres fines ou plus grossières. Selon la combinaison des éléments ajoutés à la silice, on obtient aussi des degrés variés de dureté de verre et de températures de fusion.

Poudres d'émail sur cuivre

Une partie de mon inventaire de poudres d'émail sur cuivre

Lorsqu’on utilise une technique d’émaillage, il faut parfois tenir compte du degré de dureté du verre utilisé. Lorsque je prépare une pièce avec un motif cloisonné au fil d’argent par exemple, je dois utiliser une poudre ayant un degré de fusion bas, car si le verre est très dur, cela va demander un four plus chaud et cela risque de brûler le fil d’argent du cloisonné.

C’est bien beau tout ça, mais rien n’est simple. La plupart des émailleurs que je connais travaillent avec des poudres contenant du plomb. Le plomb a deux fonctions, il abaisse le point de fusion et rend le verre plus brillant. Après avoir travaillé avec les poudres, on se lave les mains et le visage car le plomb peut s’infiltrer dans l’organisme.

Il existe peu de fabricants de ces poudres dans le monde et c’est une production plutôt artisanale. Nous avons longtemps travaillé avec les poudres Thompson qui, je pense, ne sont maintenant plus disponibles avec plomb. De plus, certaines couleurs sont devenues très rares. Alors on se tourne de plus en plus vers les poudres de la cristallerie St-Paul en France, fabricante des Émaux Soyer qui offrent encore des poudres contenant du plomb.

Le cloisonné

Le cloisonné est une très ancienne technique.  Les arabes auraient introduit cette technique en Chine vers le 13e siècle. Pendant plusieurs siècles, les chinois ont développé cette technique avec virtuosité.

Émail sur cuivre : Poissons

Émail sur cuivre / Poissons - Détail du cloisonné

Le cloisonné est une technique qui demande de la dextérité mais qui produit son effet.  Il faut d’abord émailler une pièce de cuivre avec du Fondant et on émaille le dessous aussi.  Ensuite on utilise du fil d’argent ou de cuivre. Pour ma part, je n’utilise que le fil d’argent.  Ce fil est en fait un ruban mince et pliable.  Le fil épouse les traits du dessin fait sur le papier.  Puis on dépose le fil  sur sa tranche  sur la pièce émaillée.  Ce qui est le plus difficile c’est de fixer le fil sur la pièce  avec de la gomme adragante appliquée sur la tranche de ce dernier.  Le fil doit tenir en place pour respecter le dessin et pour former des cloisons bien étanches.  Lorsqu’on est satisfait du résultat, on tamise du fondant en poudre sur le fil pour lui permettre de s’amalgamer à la pièce pendant une légère cuisson.  Lorsque le fil est est fixé grâce à la fusion du verre, on remplit les cloisons de couleurs.  Cette technique exige qu’on limite le nombre de cuissons et la durée de chaque cuisson puisque le fil d’argent peut fondre et diminuer de volume.  Il faut donc travailler au pochoir et planifier l’ordre des cuissons des couleurs.  Le travail terminé ressemble à un bijou.  Vous pouvez regarder les photos de mon blogue, toutes les oeuvres sont des émaux cloisonnés au fil d’argent.

Et voilà !